Le Voyage, une oeuvre réaliste ?

L’œuvre de Céline étant en grande partie autobiographique, nous avons voulu savoir dans quelle mesure l’auteur a puisé dans ses souvenirs de guerre pour écrire la première partie du Voyage. Pour ce faire, nous avons comparé le roman (en relevant tous les noms de lieux, dates et personnages) à ce que nous connaissons de la vie de Céline et à deux autres documents :

l’Historique du 12e Cuirassiers, qui relate jour après jour les manœuvres militaires et déplacements du régiment de Céline, pendant toute la durée de la Grande guerre,

– les lettres de Céline envoyées du front à ses parents, publiées dans l’ouvrage « Devenir Céline, lettres inédites de Louis Destouches et de quelques autres, 1912-1919« , paru chez Gallimard en 2009

Étude du premier chapitre :

Bardamu-Destouches serait étudiant en médecine lorsqu’il est assis à une terrasse de café au début du roman avec un ami. Il s’engage dans l’armée à la fin du chapitre .

En réalité, il est militaire depuis 1912. Il est mobilisé alors qu’il effectue encore son service militaire, comme tous les conscrits de son âge. Il ne commencera ses études de médecine qu’à partir de 1919.

Céline souhaite s’engager en 1912 dans un régiment de cavalerie mais il ne sait pas correctement monter à cheval et sa candidature au brevet d’aptitude militaire est rejetée.  Des lettres provenant de son capitaine dénommé Schneider montre ses encouragements pour continuer dans l’armée malgré ses difficultés.

Étude du second chapitre :

D’après Céline, les cavaliers auraient marché ou chevauché durant deux mois. Nous sommes en août, quelque part dans les Flandres, tout cela restant vague puisqu’il s’agit de ses souvenirs. Un éclaireur vient signaler au colonel la mort du maréchal des logis Barousse, puis le colonel lui-même est tué.

Il s’agit en partie de la réalité car il raconte la période de mobilisation et le début de la guerre. Le régiment de Céline part de Rambouillet le 1er août, gagne la Meuse, participant à diverses batailles, puis remonte lentement vers le nord. L’historique du 12e Cuirassiers signale bien la mort d’un maréchal des logis en août.

Dans la lettre adressée à ses parents, il ne peut cacher son enthousiasme vis à vis de sa mobilisation: « Jamais je n’ai eu le moral meilleur. »  Il semble impatient lors de son départ malgré des adieux difficiles.  Sa lettre est donc en accord avec l’historique du cuirassier puisqu’il évoque son départ de Rambouillet.

Etude du troisième chapitre :

D’après le Voyage, Bardamu devient brigadier au début du mois d’août. La guerre a commencé depuis quatre semaines et ils sont tous épuisés, fatigués. De plus ils se trouvent dans la Meuse (il s’agit donc d’un flash-back). Céline cite un  village, Barbigny, ainsi que plusieurs incendies.

Dans la réalité la guerre est déclarée le 3 août 1914 entre la France et l’Allemagne. Mais Céline est déjà maréchal des logis lorsque la guerre éclate. Et son régiment passe, en effet, a côté de la Meuse afin de ressourcer les 650 chevaux du régiment. Selon le récit officiel, nous citons : « Les pertes furent légères, mais la fatigue immense. » L’historique vient ici confirmer les souffrances de Bardamu et son régiment.

Dans une lettre adressée à ses parents, datée du 3 août 1914, il ajoute :       « Le moral est fort bon. Mais seule la lassitude […] commence à envahir tout le monde. » Il se plaint ici de son manque de sommeil répétitif qui entraîne une certaine lassitude à long terme.

Étude du quatrième chapitre :

D’après le Voyage, ils repartent vers le Nord. A partir du mois d’octobre arrive le froid, qui rend les conditions de vie encore plus difficiles. La faim se fait sentir également, et les hommes passent beaucoup de temps en corvées de ravitaillement, dangereuses et à l’issue incertaine. Bardamu est envoyé en reconnaissance dans le village  de Noirceur-sur-la Lys. Il rencontre en chemin des civils qui se plaignent des exactions des Allemands (incendies, notamment de l’église de Condé-sur-Yser, meurtres), ainsi qu’un déserteur, Robinson.

Dans la réalité, suite à la déclaration de guerre officielle contre l’Allemagne, le général Gillain,  aux commandes des opérations décide de repartir vers le Nord, après la victoire de la bataille de la Marne, le 12 septembre. Au vu du manque assez conséquent d’informations concernant son voyage dans le chapitre 4, dans l’historique il y a énormément de détails ( tous les noms de ville traversées ainsi que les dates exactes pendant tout le voyage.) Il énonce également la situation grave de l’Allemagne qui ne cesse de reculer faute de munitions et d’armes. Les Français gagnent la bataille de la Marne. Il ne mentionne pas la destruction de l’église. Mais les Allemands ont effectivement commis des exactions (on évoque des « atrocités ») envers les populations civiles, surtout en Belgique, mais aussi dans la Meuse, et les Ardennes, au début de la guerre.

Dans une lettre de Céline datée du 15 septembre 1914, il se dit épuisé : « La fatigue et le mauvais temps commencent à faire de grands ravages... »  Cette lettre intervient juste après qu’ils aient tué un allemand et l’avancée importante des lignes allemandes. Il souhaite cacher son inquiétude dans sa lettre mais il le barre pour ne pas que ses parents soient inquiets.

Et après ?

Dans le Voyage, le 5e chapitre commence alors que Bardamu est hospitalisé suite à une blessure au bras, pour laquelle il a reçu une médaille. Il y a donc une ellipse de temps et de lieu. Céline a quant à lui été blessé dans les Flandres le 27 octobre, puis hospitalisé également. Chez Céline, la fiction est toujours proche de la réalité.

Alexandre et Baptiste

 

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