Céline et l’armée

Céline s’engage dans l’armée le 28 septembre 1912,  à l’âge de 18 ans, dans le 12ème régiment de cuirassier, devançant ainsi l’appel d’un an. En effet, à cette époque, le service militaire dure deux ans et commence à 19 ans. Il choisit d’incorporer la cavalerie malgré sa peur des chevaux.

RambouilletLe cuirassier Destouches, Rambouillet, 1913-1914

Il choisit sans doute ce régiment pour son prestige : il s’agit en effet d’un régiment très ancien, créé au 17e siècle, qui s’est illustré dans les campagnes napoléoniennes et au cours de la guerre de 1870, à la bataille de Reichshoffen. Le cuirassier Destouches est nommé brigadier le 5 août 1913, puis maréchal des logis.

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12ème régiment de Cuirassiers, 1914. Louis DESTOUCHES figure au deuxième rang en partant du bas, deuxième à partir de la droite

Céline a relaté son expérience de la caserne dans deux ouvrages :

– le « Carnet du cuirassier Destouches« , dont la rédaction commence un an  après son incorporation ; il y exprime  ses émotions, y évoque également son quotidien et ses difficultés, comme par exemple ces quelques lignes:  » Je ne saurais dire ce qui m’incite a porter en écrit ce que je pense. A celui qui lira ces pages. Complètement façonné à la triste vie que nous menons, je suis empreint d’une mélancolie dans laquelle j’évolue comme l’oiseau dans l’air ou le poisson dans l’eau.  Je n’ai jamais fait preuve d’érudition en aucune matière aussi. » Les notes rassemblées ne représentaient pas cependant l’entière vérité sur son expérience, Céline ayant préféré faire l’impasse sur certains épisodes. C’était pour lui un moyen idéal de s’évader de l’univers sans pitié de la caserne. En 1914, il confie ce carnet au cuirassier Langlet, après une terrible blessure par balle au bras, reçue sur le front. Celui-ci le conserva jusqu’en 1957 où, s’apercevant qu’il appartenait à Céline, désormais un célèbre auteur, il lui restitua, ce qui permit à Céline de le publier sous le nom que nous connaissons actuellement, de « Carnet du cuirassier Destouches« .

– Céline publie en 1949 « Casse-Pipe« , un roman autobiographique incomplet dont tous les chapitres n’ont pas étés retrouvés, qui relate son arrivée dans son régiment de manière assez crue. En voici un extrait : « J’avais attendu devant la grille longtemps. Une grille qui fait réfléchir, une de ces fontes vraiment géantes, une treille terrible de lances dressées comme ça en plein noir. L’ordre de route, je l’avais dans la main… L’heure était dessus, écrite. Le factionnaire de la guérite il avait poussé lui-même le portillon avec sa crosse. Il avait prévenu l’intérieur : « Brigadier ! C’est l’engagé ! – Qu’il entre ce con là ! » Ils étaient bien une vingtaine vautrés dans la paille du bat-flanc. Ils se sont secoués, ils ont grogné. »

1312492-Louis-Ferdinand_Céline_en_1914Louis-Ferdinand Destouches en uniforme, octobre 1914

Céline est mobilisé comme ses camarades au début du mois d’août 1914. Cette expérience a été pour lui une véritable prise de conscience de la réalité de la guerre où il a, dans un temps très réduit, acquis une grande maturité. En effet, il qualifiait la guerre d’ »abattoir international en folie ». Après sa démobilisation, il fut difficile pour Céline de retrouver un quotidien normal car la souffrance infligée par la guerre restait gravée dans son être. Il fut marqué à vie par cette expérience, autant physiquement que mentalement. Le livre Devenir Céline relate avec réalisme cette période de sa vie où son désenchantement fut radical. Il déclare à ses parents 1er août 1914 :  » Cependant je suis persuadé que tout le monde fera son devoir. Jamais je n’ai eu le moral meilleur  » Mais le Capitaine Schneider adresse à ses parents ces mots en 1912 : « Il ne faut pas que votre fils se décourage, il a tout pour bien faire et il doit réussir, en dominant par la volonté la dépression qu’il subit en ce moment. Nous avons eu pour lui depuis son arrivée a l’Escadron, toute la patience possible, tenant compte de son peu d’aptitude au cheval et de son peu d’entrainement physique. »

Assez paradoxalement, il évoquait ses deux années sous les drapeaux avec nostalgie et une certaine fierté (contrairement à son personnage Bardamu, il n’était ni anti-militariste ni anti-patriotique), mais dès 1915, il fut profondément pacifiste.

Sources utilisées :
Les discours de Louis-Ferdinand Céline sur la Grande Guerre, mémoire de Master 2 de Lettres de Charles-Louis Roseau, Sorbonne, 2010, téléchargeable sur le site du Petit Célinien 
Louis-Ferdinand Céline à 20 ans : au front en 1914 : le début du Voyage, Louis-Paul Astraud, éd. Au Diable Vauvert, 2014
Le cuirassier blessé de la guerre de 1914-1918, sur le site Bienvenue à Senon
Devenir Céline : Lettres inédites de Louis Destouches et de quelques autres, 1912-1919, Gallimard 2009

Soïzic et Agathe

 

 

 

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